PME et marchés publics : Unizo montre la voie
Tout peut être amélioré, et cela vaut aussi pour les marchés publics. Dans un rapport récent, le Parlement européen a une nouvelle fois dressé la liste d’un certain nombre de points problématiques. Comparé à il y a une dizaine d’années, le niveau de concurrence semble avoir diminué. Malgré le cadre européen, le nombre de marchés transfrontaliers reste limité à seulement 5 % du total des adjudications, et bien que l’attribution d’un marché public ne doive plus depuis longtemps reposer uniquement sur le prix, ce critère demeure, dans la majorité des cas, le seul utilisé. Dans certains États membres, cela représente plus de 95 % des marchés !
En outre, la participation des petites et moyennes entreprises aux adjudications reste préoccupante. Le Parlement européen pointe, entre autres, la taille excessive des marchés, des exigences administratives disproportionnées, un manque d’accompagnement, un manque de clarté dans les documents de marché ainsi que des retards de paiement récurrents. Cela nous est familier, à nous Belges. Car même si la législation a récemment été modifiée - avec, par exemple, la possibilité d’octroyer des avances ou des indemnités de soumission - la participation des PME demeure trop faible. Pourtant, les marchés publics représentent environ 14 % du produit intérieur brut de l’UE, et plus de 95 % des entreprises belges sont de petite ou moyenne taille. Une meilleure adéquation devrait donc être possible.
Unizo (« Unie van Zelfstandige Ondernemers » – Union des Entrepreneurs Indépendants (présente majoritairement en Flandre)) partage cet avis. L’organisation a publié un dossier clair dans lequel elle identifie les principaux obstacles et formule dix propositions concrètes en vue de rendre les marchés publics plus accessibles aux PME. Alors que l’Europe travaille à un nouveau cadre, il nous semble utile de détailler les principaux obstacles et points d’action.
1. Le cadre réglementaire
Le cadre est complexe. Trop complexe. Les procédures durent longtemps, et une seule erreur peut avoir de lourdes conséquences. Le Parlement européen a déjà proposé d’augmenter sensiblement les seuils pour les marchés de fournitures et de services, afin que ceux-ci doivent moins rapidement être publiés au niveau européen. Les adjudications européennes impliquent en effet souvent des procédures plus strictes, complexes et longues.
Le Parlement européen a également suggéré d’être plus souple en cas d’irrégularités. De petites erreurs administratives ne devraient pas mener immédiatement à l’exclusion d’une offre. C’est ce que plaide aussi Unizo. Le temps des entrepreneurs doit être consacré à la préparation de l’offre elle-même, et non au remplissage de documents complexes, tels que le Document Unique de Marché Européen (DUME). Une simplification s’impose.
Dans ce sens, il est regrettable que le législateur belge ait prévu une sanction sévère - l’irrégularité substantielle - lorsqu’une offre n’est pas accompagnée du DUME. Une sanction similaire s’applique aux erreurs relatives aux exigences en matière de signature, et là aussi Unizo plaide pour davantage de souplesse et d’uniformité. L’organisation réclame, d’une part, une approche uniforme, où la signature d’une offre serait exigée dans toute procédure, et, d’autre part, une certaine clémence : la possibilité légale de régulariser, afin que les questions relatives à la capacité de représentation puissent être clarifiées à temps.
Enfin, Unizo formule plusieurs observations critiques sur l’indemnité de soumission et sur le classement provisoire. Une modification législative fin 2023 impose l’octroi d’une indemnité lorsque la soumission exige des prototypes, maquettes ou designs graphiques. Bien trop souvent, cette règle reste lettre morte, parce que les adjudicateurs optent pour des procédures dans lesquelles l’indemnité de soumission n’est pas requise, ou parce qu’ils reformulent certains éléments du marché de manière à éviter d’y être soumis. Ainsi, la présentation d’un “plan d’approche” ou d’une “vision de projet” ne donne pas lieu à l’octroi d’une indemnité de soumission, alors même que leur élaboration est loin d’être gratuite.
La nouvelle réglementation sur le classement provisoire semble également insuffisante. Dans certains cas limités, les adjudicateurs doivent communiquer immédiatement aux soumissionnaires leur position dans le classement après l’ouverture des offres. Cette communication ne donne aucune information sur la concurrence ou sur les prix proposés, et contient donc bien moins d’informations que le procès-verbal d’ouverture. Unizo plaide en faveur d’une plus grande transparence. Et en effet : le régime du classement provisoire paraît quelque peu étrange. Celui-ci visait notamment à permettre aux soumissionnaires d’établir leur planification plus tôt, afin de favoriser une exécution meilleure et plus rapide du marché. Cependant, les informations issues du classement provisoire ne peuvent pas être communiquées, même pas aux sous-traitants. On peut donc se demander quel effet utile ces informations peuvent réellement avoir sur la planification et l’exécution, si les entrepreneurs doivent élaborer un planning sur la base du classement provisoire sans pouvoir y associer leurs sous-traitants… Publier tout simplement, dans une procédure ouverte, le procès-verbal d’ouverture mentionnant les prix totaux fournirait davantage d’informations, serait plus transparent et resterait également facile à mettre en œuvre pour les adjudicateurs.
2. Les marchés de faible montant
Les marchés sur facture acceptée constituent la voie la plus simple des marchés publics. Ces contrats se concluent rapidement et avec un minimum de formalités. Les marchés dont la valeur estimée est inférieure à 30.000 euros permettent aux PME d’acquérir des références et d’établir un lien avec les adjudicateurs locaux. La procédure ne consiste guère en plus qu’une demande de prix par e-mail, sans cahier des charges ni utilisation de la plateforme eProcurement. Le cadre rigide de la loi, avec des critères de sélection et d’attribution distincts ainsi qu’une analyse complexe des prix et des coûts, n’est pas applicable. Une utilisation accrue de cette procédure pourrait donc renforcer les PME. Porter le seuil à 50.000 euros, comme le propose Unizo, mérite donc réflexion. D’un autre côté, la souplesse de cette procédure implique également moins de garanties procédurales et une protection juridique réduite. Un suivi rigoureux et une bonne traçabilité sont indispensables pour éviter que cette souplesse ne conduise à plus de favoritisme, de traitements préférentiels injustifiés ou de décisions de sélection et d’attribution insuffisamment motivées.
3. Plus de connaissances
Tout comme les petites entreprises ne disposent pas de service juridique interne, les acheteurs publics locaux sont parfois livrés à eux-mêmes. La fonction d’acheteur est en voie de devenir un métier en pénurie : en plus du droit des marchés publics, elle exige la maîtrise d’autres réglementations telles que le RGPD, les règles PEB ou le règlement IA. Un manque de connaissances ou de soutien pousse les acheteurs et les petits pouvoirs adjudicateurs vers de grandes centrales d’achat, qui lancent des accords-cadres de manière centralisée sur le marché. Ces accords-cadres deviennent alors d’une telle ampleur que les PME en sont exclues. UNIZO plaide à juste titre pour un double effort.
Tout d’abord, la fonction d’achat doit être professionnalisée. Les acheteurs doivent être soutenus, avec des modèles uniformes, des cahiers des charges standardisés et des points de contact centralisés. Il existe déjà de belles initiatives, comme l’outil MVOO du Gouvernement flamand (« Maatschappelijk verantwoorde overheidsopdrachten » en français « Marchés publics socialement responsables »), mais un renforcement est possible.
Par ailleurs, il convient de renforcer les liens avec les entrepreneurs locaux. Les plateformes de concertation par région et secteur ont leur utilité, tout comme les nombreuses initiatives permettant aux commerçants locaux de se familiariser avec eProcurement. Ces efforts devront se poursuivre, notamment avec l’arrivée de la facturation électronique obligatoire.
Un certain recul critique reste toutefois nécessaire. Jusqu’il y a peu, de nombreuses provinces et villes-centres disposaient de leurs propres plateformes, sur lesquelles les entrepreneurs locaux pouvaient enregistrer leur intérêt pour des marchés. Ces initiatives régionales ne se sont pas toujours révélées efficaces et certaines ont disparu discrètement. Une prolifération de sites et de portails produit l’effet inverse. Il serait peut-être judicieux de se concentrer sur un portail unique - celui de la plateforme eProcurement - et, par exemple, de promouvoir la création et l’utilisation de cartes de visite électroniques comme bonne pratique, tous secteurs et régions confondus.
4. Les risques
Les marchés publics relèvent du droit public. Les règles générales de droit privé n’ont qu’une portée supplétive. Les entreprises ne peuvent donc pas toujours se reposer sur les règles du droit économique ou civil. Cela crée parfois des déséquilibres, où un cahier des charges impose des règles trop strictes ou des clauses pénales disproportionnées. Comme pour les critères de sélection, Unizo plaide pour une meilleure proportionnalité.
Il est légitime que l’accent soit mis ici sur les règles relatives à la révision des prix. Alors que la révision des prix est obligatoire pour les (grands) travaux et certains services intensifs en main-d’œuvre, tels que l’entretien des espaces verts, elle ne l’est pas pour les fournitures ni pour la majorité des autres services. Cela crée une incertitude pour les entreprises, qui doivent intégrer des risques et anticiper les indexations. Une réglementation uniforme, rendant la révision des prix obligatoire pour tous les marchés de longue durée, présenterait sans doute l’avantage de la clarté. Néanmoins, le caractère forfaitaire des prix reste essentiel afin de garantir des conditions de concurrence équitables. Si les prix peuvent être adaptés trop facilement en cours d’exécution, l’évaluation des offres perd de sa pertinence. Une nouvelle réglementation peut être uniforme, mais ne doit pas être trop flexible. Une fois le marché attribué, la révision des prix doit suivre des mécanismes clairs et des paramètres contraignants et ce dans l’intérêt de toutes les entreprises concernées.
5. Plus d’étude de marché
Comme nous l’avons déjà mentionné : de nombreux services d’achat sont en sous-effectif, et le soutien central pourrait être amélioré. En conséquence, de nombreux services se heurtent aux délais. Trop souvent, les cahiers des charges sont rédigés un peu trop rapidement, ce qui entraîne des dispositions peu claires ou des exigences irréalistes.
Unizo plaide pour une meilleure étude de marché. Une consultation transparente des entreprises permet aux acheteurs d’établir une estimation plus précise et d’adapter le cahier des charges aux besoins réels. Cela peut conduire à une division logique en lots et ouvrir la porte à des propositions innovantes. Rendre l’étude de marché obligatoire, comme le propose Unizo, représente une formalité administrative supplémentaire. Mais dans les procédures complexes, cet investissement peut être rentable. Lorsque la valeur du marché est élevée, une préparation approfondie et documentée du dossier apparaît d’autant plus essentielle. En revanche, pour les procédures plus limitées ou les achats standardisés, une étude de marché formalisée peut être considérée comme une simple formalité obligatoire.
De plus, UNIZO propose de permettre systématiquement la soumission de variantes. Cette idée a déjà été avancée par le Parlement européen : les soumissionnaires peuvent ainsi présenter une idée ou une proposition alternative. Cette approche mérite pleinement d’être soutenue. En effet, les spécifications techniques devraient idéalement être décrites de manière fonctionnelle, afin que tous les produits et services répondant aux besoins de l’administration aient une chance équitable. Lorsque les spécifications techniques ou les documents de marché limitent la concurrence sur ce point, offrir plus de liberté pour proposer une variante équivalente constitue probablement une alternative valable. Cependant, cela implique en principe que l’acheteur fixe au préalable des exigences minimales claires auxquelles chaque variante doit répondre. C’est précisément à ce niveau que des difficultés apparaissent souvent en pratique : des exigences peu claires ou incomplètes sont fréquemment source de discussions et compliquent une comparaison cohérente des variantes.
6. Moins de critères de sélection
D’un côté, davantage de consultation du marché est nécessaire, mais d’un autre côté, il semble souhaitable de réduire le nombre de critères de sélection. La liste des références, expériences, chiffres d’affaires et certificats exigée par les acheteurs apparaît parfois peu proportionnée. La préparation de ces documents prend également du temps et engendre donc des coûts. Le Parlement européen avait déjà suggéré l’idée d’une sélection préalable au niveau européen, permettant aux acheteurs de choisir les entreprises sur la base de reconnaissances centralisées antérieures. Toutefois, il est incertain qu’un tel mécanisme européen favorise réellement la participation des PME. Il semble plus judicieux d’étendre la déclaration sur l’honneur existante aux critères de sélection. Les acheteurs pourraient alors procéder à une sélection provisoire des soumissionnaires et ne contrôler les critères de sélection que pour celui à qui le marché sera probablement attribué. Ce soumissionnaire disposerait ainsi d’un certain délai pour fournir les documents justificatifs ultérieurement dans la procédure.
En outre, comme le demande UNIZO, il convient d’éviter que les acheteurs exigent des documents dont l’administration dispose déjà. C’est le cas, par exemple, de l’extrait du casier judiciaire (central). Si les acheteurs peuvent obtenir eux-mêmes ces documents, par exemple via Telemarc, cela supprime une charge administrative pour de nombreux soumissionnaires..
7. Un meilleur équilibre entre prix et qualité
Le principe du « prix le plus bas » est clair : le moins cher gagne. La complexité des procédures produit paradoxalement l’effet inverse : dans l’espoir de décisions sûres et juridiquement solides, les acheteurs optent encore trop souvent pour le seul critère du prix. Cela a souvent un effet défavorable sur les petites et moyennes entreprises, qui ne bénéficient pas d’économies d’échelle et ne peuvent pas proposer les prix les plus compétitifs. Il est donc conseillé d’introduire davantage de critères d’attribution qualitatifs, en particulier pour l’achat de produits plus complexes. L’Europe soutient cette idée, bien que sa mise en œuvre soulève certaines préoccupations déjà évoquées. L’utilisation de critères qualitatifs exige un meilleur accompagnement des plus petits acheteurs, la mise à disposition de clauses et de modèles standardisés, ainsi qu’une simplification des procédures.
8. Moins d’accords-cadres
Un récent avis de la Commission des marchés publics rejoint la huitième recommandation d’Unizo. Ces dernières années, les centrales d’achat se sont multipliées, publiant des accords-cadres centralisés. Cette pratique nuit souvent à la participation des PME, en particulier lorsque les marchés ne sont pas divisés en lots. La Commission des marchés publics s’interroge sur le statut de certaines centrales d’achat, et Unizo plaide pour davantage de transparence. Il est donc positif que les adjudicateurs soient désormais tenus d’indiquer, dans les documents de marché, la quantité ou la valeur maximale des accords-cadres. De plus, depuis l’année dernière, ils doivent déclarer chaque année leur recours à ces accords-cadres auprès du SPF BOSA. Une fois que les premiers résultats de ce rapport seront connus, il sera clair dans quelle mesure des ajustements supplémentaires seront nécessaires.
9. Paiement correct
Une modification récente de la loi a supprimé la distinction entre le délai de vérification et le délai de paiement. Les autorités doivent désormais payer leurs factures dans un délai uniforme de 30 jours. Toutes les autorités ne respectent pas ce délai et, en l’absence de paiement automatique des intérêts, cela a des conséquences financières pour les adjudicataires. Unizo souligne ce problème à juste titre, mais il peut être opportun d’attendre l’effet de la facturation électronique. À partir de 2026, ce mode de facturation deviendra obligatoire, et les adjudicateurs devront donc également adapter leurs processus de paiement en conséquence. Cela peut à lui seul avoir un effet positif sur les délais de traitement des factures. Les discussions concernant la date de numérisation ou la date de facturation des créances, comme le souligne UNIZO, appartiendront alors au passé.
10. L’économie sociale
La législation permet aux adjudicateurs de réserver des marchés, ou leur exécution, au secteur de l’économie sociale. Ainsi, des entreprises de travail adapté ou des recycleries peuvent obtenir des chances privilégiées pour certains services, comme la collecte de textiles, les petits travaux ou l’entretien d’espaces verts.
Unizo reconnaît le rôle important de ces mécanismes, mais y voit aussi un risque de distorsion de concurrence. Les entreprises d’économie sociale bénéficient parfois de subsides ou de régimes salariaux adaptés leur permettant d’offrir des prix plus bas. Une attribution complète des marchés à ces secteurs pourrait perturber le marché. Dans le même temps, l’UNIZO reconnaît qu’une exclusion totale de ces acteurs méconnaîtrait leur rôle sociétal. Les pouvoirs publics ont, plus que les entreprises classiques, une mission sociale à remplir ; il reste donc sans doute nécessaire d’utiliser cet instrument de manière ciblée et équilibrée.
La Commission européenne promet une première version de la nouvelle réglementation sur les marchés publics pour le deuxième trimestre 2026. Le Parlement européen a mis en lumière plusieurs difficultés, et l’analyse d’Unizo s’inscrit pleinement dans cette démarche La participation des petites et moyennes entreprises est trop faible, ce qui constitue précisément un défi majeur dans le paysage entrepreneurial belge. Ainsi, les suggestions concrètes arrivent à point nommé : si l’Europe ne les met pas immédiatement en œuvre, le législateur belge peut encore les appliquer pour les marchés en dessous du seuil européen.
Yannick Ottoy et Stijn Maeyaert